Architecture d’un sanctuaire métropolitain

Le fronton

Sous le fronton apparaît la dédicace latine : D.O.M. SVB. INVOCAT S. MAR. MAGDALENÆ (Au Dieu tout puissant et très grand, sous l’invocation de sainte Marie-Madeleine). Elle incite à découvrir la sainte patronne de l’église sur le fronton sculpté d’Henri Lemaire (1789-1880). Au Jugement Dernier, le Christ apparaît entouré de deux anges : à sa gauche (notre droite) l’archange saint Michel chasse les réprouvés, personnifiés par les Vices. De l’autre côté, ce sont les Vertus qui conduisent les élus. Singularité de la composition, Marie-Madeleine est agenouillée à droite, avec les réprouvés ; elle exprime ainsi la repentance qui est une constante du programme iconographique.

Certains contemporains de Lemaire trouvèrent à Marie-Madeleine une allure équivoque, à cause de son « œil ardent » et de son « vêtement impudique ». Mme Leroy-Jay Lemaistre a suggéré une parenté d’inspiration avec l’école de Düsseldorf, la dette à Canova et à Thorvaldsen, enfin des références aux marbres du Parthénon. Préféré à Rude et à Pradier, parmi vingt-sept concurrents lors du concours de 1828-1829, Lemaire acheva ce haut relief en 1833 et donna la maquette au musée de Valenciennes plutôt qu’à Louis-Philippe qui l’avait demandée. L’affaire du fronton avait beaucoup occupé les milieux officiels et partagé les artistes ; sa réalisation devait être l’une des démonstrations les plus évidentes de la politique artistique de la Monarchie de Juillet.

La porte de bronze

En franchissant le péristyle, le visiteur découvre le parti très sobre adopté pour l’entrée principale de l’église. Sous une corniche à denticules, portée par deux fortes consoles, le décor minéral de perles, rais de cœur et feuilles très stylisées retient à peine l’attention tant le regard est attiré par les fontes historiées. Le ministre de l’Intérieur qui présidait aux travaux voulut une porte de bronze, comme on en voyait au Panthéon romain et dans les basiliques chrétiennes les plus vénérables de Pise, Rome, Vérone ou Venise. Un modèle s’imposa cependant à Henri de Triqueti (1804-1874) qui accepta la commande, celui des portes de Ghiberti au Baptistère de Florence.

Aristocrate, le baron de Triqueti pratiquait la sculpture pour son plaisir ; il avait été remarqué au Salon de 1831 parmi les jeunes sculpteurs romantiques que le chantier de La Madeleine allait tant occuper. Il avait déjà reçu une commande pour la Chambre des députés mais n’avait pas encore prouvé son talent de sculpteur monumental. Grâce au fonds du musée de Montargis, on connaît mieux aujourd’hui l’œuvre de Triqueti. Élève d’Hersent, il était peintre et sculpteur à la fois : la composition de ses reliefs se ressent de cette dualité.

Triqueti accepta la commande en 1834 et réalisa les modèles des fontes en quatre ans, avec l’aide du sculpteur Maindron. Les dates de conception des plâtres de 1836 et de 1837 apparaissent d’ailleurs sur les panneaux inférieurs. La porte fut seulement installée en 1841 car le public avait été admis dans l’atelier des fondeurs pour voir les œuvres de près. L’opinion fut unanime dans ses éloges et le baron de Triqueti devint célèbre aussitôt.

En effet, les portes de La Madeleine sont exceptionnelles par leurs dimensions qui les rendent plus grandes que la porte de bronze de Saint-Pierre de Rome, et par leur légèreté due à une fonte extrêmement savante. Les fondeurs Louis Richard, Eck et Durand utilisèrent seulement un quart des 12 500 kg de bronze obtenus du ministre de la guerre. A cause de cette légèreté, les portes peuvent défier le temps, comme l’ont fait les bronzes antiques les plus minces. En outre, elles présentent le bronze à nu, sans l’artifice de la dorure ; la subtilité de l’imagier est ainsi servie par le travail du fondeur. Antoine Krieger a même établi qu’elles avaient coûté dix à quinze fois moins cher que les Portes du Paradis de Ghiberti qui sont quatre fois plus petites.

La porte est constituée d’un contre chambranle orné d’un motif de rinceaux issus de feuilles d’acanthe ; une corniche à denticules porte le relief d’une imposte, partie fixe où commence l’illustration du Décalogue. Triqueti y a figuré Moïse donnant les Tables de la Loi aux Hébreux :
le prophète sort du cadre et domine les deux premières évocations des Dix Commandements ; les huit autres sont figurés dans les panneaux carrés entourés de clous des deux vantaux ; le sculpteur évite ainsi le compartimentage trop serré du baptistère de Florence. Comme dans un livre à images, chacune des scènes de l’Ancien Testament est légendée du texte latin du Décalogue, avec quelques citations bibliques à l’intérieur de la composition.

Nous donnons ici la traduction des textes et l’explication sommaire des scènes bibliques choisies par Triqueti dans l’Ancien Testament. Artiste protestant très religieux, le sculpteur a fait une œuvre grandiose en surpassant ses modèles et en rendant chaque sujet très intelligible. Grâce à l’habileté des fondeurs, certaines parties sont détachées en haut relief : des jeux d’ombre et de lumière très expressifs animent ainsi les panneaux. Depuis l’installation des portes, la plupart des commentateurs ont reconnu là un des chefs-d’œuvre de la sculpture romantique : la vigueur des anatomies, la science des drapés et l’habileté des raccourcis prouvent que Triqueti a fait œuvre moderne en évitant un travers de son époque, le pastiche du Moyen Âge et de la Renaissance.

Avec cette sculpture si monumentale, l’artiste devint l’un des sculpteurs officiels du règne de Louis-Philippe. Il travailla avec la fille du roi au mausolée du duc d’Orléans et collabora à la grande entreprise du tombeau de Napoléon aux Invalides.


Imposte

Premier Commandement

non habebis deus alienos coram me
(Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face.)
Le peuple hébreu reçoit la Loi avec enthousiasme et respect ; il acclame son prophète.

Deuxième Commandement

non assumes nomen domini dei
(Tu n’invoqueras pas en vain le nom du Seigneur.)
Certains s’approchent de Moïse et se prosternent, d’autres tendent des bras accusateurs contre celui qui a juré en vain.

Troisième Commandement

memento ut diem sabbati sanctifices.
(Souviens toi de sanctifier le jour du sabbat.)
Adam et Ève se reposent dans le recueillement du septième jour de la création.
Le ciel s’entrouvre et Dieu apparaît au milieu de ses anges ; il contemple sa création et bénit le septième jour.
complevit deus septimo die opus suum et benedixit diei septimo et sanctificavit illum.
(Genèse : Le septième jour, Dieu termina son œuvre et il bénit le septième jour et le sanctifia.)

Quatrième Commandement

honora patrem tuum et matrem tuam.
(Honore ton père et ta mère.)
Cham, le second fils de Noé, est maudit par son père pour s’être moqué de lui.
Dieu apparaît au-dessus de la foule et envoie un de ses anges apporter la malédiction divine.
maledictus chanaan, servus servorum erit fratribus suis.
(Genèse, Que Chanaan soit maudit ! Il sera l’esclave des esclaves de ses frères !)

Cinquième Commandement

non occides.
(Tu ne tueras pas.)
Après le meurtre d’Abel par son frère Caïn, des anges descendent du ciel pour consoler les affligés et punir le meurtrier que sa famille empêche de fuir.
vox sanguinis fratris tui clamat ad me de terra ; nunc igitur maledictus eris super terram.
(Genèse, La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi ; tu seras donc maintenant maudit sur la terre.)

Sixième Commandement

non mæchaberis
(Tu ne commettras point d’adultère.)
Le roi David est assis à côté de Bethsabée et du berceau de leur enfant mort.
Le prophète Nathan les menace et se sert d’une parabole tirée du Livre des Rois pour expliquer à David son crime.
dives habebat oves et boves plurinum valde, pauper nihil habebat omnino præter ovem unam parvulam.
(Un homme riche avait un grand nombre de brebis et de bœufs, un homme pauvre n’avait rien du tout qu’une petite brebis).
L’homme riche recevant un étranger prit la brebis du pauvre et la donna à manger à son hôte.
dixit autem nathan ad david : tu es ille vir fecisti hanc rem.
(Nathan dit à David : Tu es cet homme qui as commis cette action)

Septième Commandement

non furtum facies.
(Tu ne voleras pas.)
Coupable de vols, Achan est agenouillé aux pieds de Josué et entend la sentence du juge, inscrite en haut, à gauche.
dixit josue achan : quia turbasti nos, exturbet te dominus in die hac ! lapidavit eum omnis israël ; et cuncta, quœ illius erant, igne consumpta sunt.
(Josué, VII, 25 Josué dit à Acham : Puisque tu nous as troublés, que le Seigneur te trouble toi-même en ce jour ! Et tout Israël le lapida, et tout ce qui était à lui fut consumé par le feu.)

Huitième Commandement

non loqueris falsum testimonium contra proximum tuum.
(Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.)
Les deux vieillards débauchés qui ont fait condamner la chaste Suzanne sont arrêtés et ligotés, tandis que le mari et les enfants de cette dernière se jettent sur elle, parcequ’ils avaient cru la perdre.
A droite : exclamavit omnis coetus voce magna et benedixerunt deum qui salvat sperantes in se.
(Toute la multitude poussa de grands crix et se mit à bénir Dieu qui sauve ceux qui espèrent en lui.)
A gauche : et interfecerunt eos et salvatus est sanguis innoxius in die illa.
(Ils les ont fait périr, et ce jour-là le sang innocent a été sauvé. Daniel, XIII, 60, 62)

Neuvième Commandement

non concupisces uxorem proximi tui.
(Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.)
Abimélech a enlevé la femme d’Abraham. Dieu lui apparaît en songe, tandis que Sarah est éveillée.
en morieris propter mulierem quam tulisti ; habet enim virum
(Genèse, XX, 37, Tu seras puni de mort à cause de la femme que tu as enlevée, parce qu’elle a un mari.)

Dixième Commandement

non concupisces domum proximi tui nec omnia quæ illius sunt
(Tu ne convoiteras pas la maison de ton voisin, ni aucune chose qui lui appartienne.)
Étendu par terre, les mains liées derrière le dos, le roi d’Israël Achab avait convoité la vigne de Naboth; pour s’en emparer, il avait fait de faux témoignages et l’avait fait lapider. Élie le menance de la vengeance divine.
occidisti et possedisti : linxerunt canes sanguinem naboth, lambent quoque sanguinem tuum.
(3-Reg, XXI, 19 Vous avez tué Naboth et vous avez possédé sa vigne : les chiens ont léché le sang de Naboth, ils lécheront aussi votre sang.)

Les statues de saints du portique


Vignon avait prévu de détacher son portique sur des murs nus ; son successeur Huvé préféra creuser les parois extérieures de la cella d’une série de niches et y installer une étonnante galerie de statues de saints.

A l’exception de saint Jean l’Évangéliste, payé à Joseph Coupon par la Ville, l’État commanda les trente-trois autres statues à trente sculpteurs différents, de manière à aller vite et à faire travailler le plus grand nombre d’artistes possible. Ils taillèrent dans la pierre des personnages plus grands que nature, en indiquant leurs noms sur le socle ; leurs statues viennent ainsi rythmer les 52 colonnes du portique extérieur.

Le parti iconographique fut en partie inspiré par la famille d’Orléans dont les patrons célestes furent représentés, à commencer par saint Louis et saint Philippe qui entourent la porte principale, à l’emplacement prévu initialement pour des ouvertures latérales. Aux deux portiques, la famille royale retrouvait ses protecteurs : Antoine (Montpensier), Charles (Nemours), Ferdinand (Orléans), François (Joinville) et Adélaïde (la sœur du roi), Christine (duchesse de Wurtemberg), Hélène (duchesse d’Orléans). Les oubliés pouvaient se contenter de patrons secondaires.

Les trois archanges et l’ange gardien bordant les portiques indiquent une iconographie plus traditionnelle. Parmi les grands saints de l’Église, Bernard, Denis, Hilaire, Martin et Geneviève rappellent la christianisation de la France. L’auteur de ce programme théologique a d’ailleurs anticipé sur Rome en canonisant Jeanne de Valois avec un siècle d’avance. A la façade postérieure, les quatre Évangélistes sont malheureusement privés de la tête de saint Luc, décapité par un obus de canon allemand, à la Fête Dieu de 1918.

Avec une savante alternance d’hommes et de femmes, cette litanie pétrifiée peut surprendre car les sculpteurs furent inégalement inspirés ; leurs grandes figures de saints sont néanmoins remarquables par leur diversité. L’impression de lassitude due au nombre d’effigies n’empêche pas d’apprécier les origines européennes des sculpteurs et leur habileté à animer les grands murs nus du sanctuaire. Par leur monumentalité, les statues préparent le visiteur à regarder le programme sculpté de l’intérieur

L’intérieur de la Madeleine

L’intérieur du sanctuaire

La conception intérieure de La Madeleine est d’une remarquable homogénéité : l’unique vaisseau rappelle les volumes intérieurs des édifices antiques. La cella ne reproduit pas tout à fait l’architecture d’un temple mais plutôt les volumes des salles des thermes romains. En effet, les trois travées carrées de la nef sont couvertes de coupoles surbaissées à caissons, qui dispensent un faible éclairage zénithal, comme au Panthéon de Rome. L’unité structurelle tient à la combinaison de deux ordres classiques dont les entablements se développent tout autour du sanctuaire : ils ceinturent ainsi un seul vaisseau que la polychromie des marbres et les dorures rendent particulièrement somptueux.

Conçue sans bas-côtés, La Madeleine présente un plan basilical traditionnel. Les trois travées de la nef sont encadrées de deux demi travées : la première sert de vestibule ; elle est élargie par deux chapelles semi circulaires et couverte d’une voûte en berceau sous laquelle s’élève la tribune du buffet d’orgues ; la seconde forme l’hémicycle du chœur ; elle est surélevée par un degré qui mène au maître-autel et aux deux chapelles latérales qui reproduisent en plus petit le plan de l’église ; elles tiennent lieu de sacristies et ne se visitent pas ; le chœur est couvert d’un cul-de-four entièrement peint par Ziegler.

L’ordre corinthien colossal de la nef s’appuie sur un haut piédestal, qui dissimule une galerie de circulation pour la desserte du sanctuaire. A chaque travée carrée de la nef, Vignon compensa l’absence de bas-côtés et élargit l’effet visuel : entre les colonnes détachées de l’ordre corinthien et sur le même piédestal, il installa un ordre ionique plus petit, à sept travées ; cette colonnade ionique délimite une tribune et forme au centre l’avant-corps d’une chapelle. L’autel y est installé dans l’interruption du piédestal. A chaque chapelle, une statue monumentale se détache sur la niche en cul-de-four pratiquée dans le mur. L’entablement ionique porte une troisième galerie de circulation, invisible du bas, sous un mur panneauté de marbre. La corniche très saillante de l’ordre corinthien supporte les arcs en plein cintre des coupoles et des lunettes semi circulaires. A la place des fenêtres que Vignon avait prévues pour éclairer le sanctuaire, Huvé fit peindre les six panneaux de la vie de sainte Marie-Madeleine.

Au dessus des six colonnes ioniques des trois travées et des douze du chœur, la frise dorée est sculptée par Louis-Denis Caillouette de têtes de chérubins et de rosaces auxquelles sont accrochées des guirlandes végétales ; l’effet chromatique de cet ordre est d’autant plus riche que le soffite est décoré de rinceaux dorés sur fond rouge. Une frise du même type se développe à l’ordre corinthien mais ce sont des anges à mi-corps qui y alternent avec des candélabres antiques ; dans l’attitude de l’orant ou du joueur de trompette, ils y distribuent de riches rinceaux dorés sur fond bleu. Pour rappeler l’alternance chromatique de tout l’édifice, les rosaces de la corniche se détachent sur fond rouge, entre de puissantes consoles dorées.

Les trois coupoles sur pendentifs et la demi coupole du chœur sont découpées par des arcs en plein cintre entièrement dorés ; ils répètent un motif de rinceaux répartis en lyre, de chaque côté d’une tige portant les épis de blé et les pampres des symboles eucharistiques. A l’arc triomphal comme aux grands arcs des murs latéraux, le décor est encore plus puissant : des rosaces sur fond bleu alternent avec les panneaux rouges porteurs de chérubins, de symboles épiscopaux et de l’initiale M. de Madeleine.

L’ordre ionique est donc répété tout autour du chœur, donnant ainsi à l’église une articulation très évidente. A l’origine, il était surmonté du même mur à panneaux de marbre que dans la nef, mais les paroissiens de la fin du XIXe siècle eurent la malencontreuse idée de le remplacer par la mosaïque de Lameire. Celle-ci accuse le côté basilical de l’église, faussant ainsi l’originalité du parti de Vignon et de Huvé qui avaient tiré d’admirables effets colorés de la variété des marbres européens.

Réalisé en une durée courte, sous le règne de Louis-Phillippe, le décor intérieur de La Madeleine présente une rare unité esthétique pour une église. Avant d’en proposer le détail, nous suggérons au visiteur de remarquer l’harmonie colorée due à l’alternance des tons chauds et des tons froids, rehaussés d’une dorure qui souligne les ornements et la modénature. Distribués à profusion dans l’édifice, les marbres donnent un échantillon de tout ce que l’on peut trouver en France, notamment dans les Pyrénées, en Italie pour Carrare et en Belgique pour Ria, dans une palette de couleurs ocre et rouge opposées au bleu et au violet.

Des formes géométriques assez simples animent les grandes surfaces depuis le dallage jusqu’au haut des murs en faisant alterner cercles, carrés, rectangles et losanges. La blancheur du marbre et de la pierre encadre d’autant mieux les parties colorées que la dorure sépare les différentes formes. Huvé a imaginé de cerner les larges panneaux de tons chauds de bandes de marbre violacé ; il a même répété cet effet au-dessus des ordres classiques pour prolonger l’élancement des colonnes. Les frises des entablements et les caissons des voûtes alternent aussi le rouge et le bleu, partout soulignés du même filet doré qui rehausse les cannelures, la modénature, les végétaux stylisés des chapiteaux et les ornements figurés.

Les menuisiers qui ont fabriqué les confessionnaux, la chaire à prêcher et le dossier du banc d’œuvre ont eu recours aux mêmes doreurs que les architectes. Traité dans le style classique un peu gras typique de la Restauration, le mobilier de La Madeleine présente une remarquable unité stylistique. Un ordre corinthien à pilastres ou à colonnettes cannelés y est utilisé, donnant ainsi raison aux puristes de l’architecture classique qui le préconisaient pour les édifices consacrés à des femmes. Le visiteur le remarquera aussi au buffet d’orgues, pour les montants des grilles du chœur et des chapelles, enfin pour les tombeaux de marbre blanc des sept autels. Le gouvernement de Thiers n’avait pas lésiné dans les commandes passées aux meilleurs artistes et artisans de la Monarchie de Juillet. L’inventaire de Chaix a consigné les différentes dépenses supportées par l’État et par la Ville de Paris.

Le décor peint


Comme nous l’avons dit, les effets de couleur sont plus évidents dans l’architecture que dans les peintures figuratives. Les principales compositions sont à voir dans le chœur et en haut des murs des trois travées ; malheureusement elles sont assez encrassées et très inégalement éclairées. A la place des fenêtres dont la lumière manque tellement à l’édifice, six peintures racontent la Vie de sainte Marie-Madeleine, tandis que l’Histoire du christianisme orne l’abside.

En 1834, Thiers avait passé commande de l’ensemble du programme à Paul Delaroche, artiste déjà confirmé par de nombreux succès au Salon. Tout artiste aurait voulu respecter l’unité du récit et éviter que dans les six compositions, Marie-Madeleine ait six aspects différents. Delaroche était parti pour l’Italie afin de revoir de grands exemples de peinture religieuse quand il apprit que le ministre des Travaux publics dont dépendait la Direction des Beaux-Arts lui retirait la peinture de l’abside, au profit de l’intrigant Ziegler. Il n’en n’exécuta pas moins les dessins préparatoires du cycle de sainte Marie-Madeleine (musée du Louvre). Comme l’a montré M. Georges Brunel dans le catalogue de l’exposition Delaroche (1999), le cycle échappa à l’artiste, ce qui lui évita les tourments de la peinture monumentale dans un grand édifice public. En février 1836, Thiers dispersa la commande entre six peintres et contraria beaucoup l’impression d’unité recherchée par l’architecte Huvé.

Les lunettes se lisent depuis l’entrée et montrent déjà trois sujets où Marie-Madeleine est en présence du Christ : La conversion par Victor Schnetz est une scène de prédication encombrée de personnages, dans un paysage assez fade. En face, Auguste Couder est resté fidèle à l’esprit néo-classique dans la frise du Repas chez Simon, sujet également traité au maître-autel ; comme dans le groupe de Pradier, on remarquera le caractère orientalisant des spectateurs. François Bouchot peignit Marie-Madeleine témoin de la mort de Jésus qui passe pour le chef-d’œuvre du cycle, notamment dans le sens de la perspective et la forte expression de douleur de saint Jean, de la Vierge et de Marie-Madeleine agenouillée en pleine lumière. Récemment réhabilité, Léon Cogniet est très habile dans sa représentation de Marie-Madeleine au Sépulcre, notamment avec le bel ange assis qui annonce ceux de la dernière travée. Abel de Pujol multiplia les acteurs de Marie-Madeleine visitée par les anges au point de trop repousser la sainte dans le fond. En face, Émile Signol fut à peine mieux inspiré dans la Mort de Marie-Madeleine qui rappelle les primitifs italiens, avec la sainte allongée sur le devant et la répartition trop symétrique des assistants. Au lieu des grandes figures prévues par Delaroche, les six peintres du cycle de sainte Marie-Madeleine ont multiplié les personnages pour meubler la surface semi-circulaire des lunettes et parfois l’encombrer un peu trop. A cette distance de l’œil, les écarts de traitement se voient peu. Le cycle reste un bon échantillonnage de l’art romantique français.

La fresque de Ziegler

La peinture du chœur était un exercice risqué à cause de l’ampleur du cul-de-four ; cependant, Jules-Claude Ziegler le sollicita. A la place de l’assomption de sainte Marie-Madeleine prévue par Delaroche, il traita l’Histoire du christianisme (1835-1837). Élève d’Ingres, Ziegler avait remporté des succès au Salon depuis 1831. L’État venait de lui acheter un saint Georges (musée des Beaux-Arts de Nancy) et de lui en commander une réplique lorsque Thiers le chargea de la peinture de l’abside. L’artiste revenait d’Allemagne et avait envie de se mesurer à l’ambitieuse peinture nazaréenne ; il proposa donc de retracer toute l’histoire de la chrétienté. Cette idée convenait au gouvernement d’alors car Thiers voulait faire oublier les destinations primitives du temple de Vignon dans une idée de réconciliation nationale ; le thème de l’universalité de l’Église dépassait les querelles idéologiques nationales.

Inspiré du Christ de la Dispute du Saint Sacrement de Raphaël, le personnage central préside à l’histoire du christianisme d’Orient, à sa droite, et d’Occident, à sa gauche. Il bénit, entouré des Apôtres, au sommet d’une pyramide humaine installée sur un escalier ; y figure d’abord sainte Marie-Madeleine, soutenue sur un nuage par trois anges, comme au maître-autel, avec la parole du Christ : Dilexit multum (elle a beaucoup aimé). Selon la description de M. Krieger, nous énumérons les personnages :

A gauche du spectateur, l’empereur Constantin, saint Maurice, saint Laurent tenant son gril, saint Augustin écrivant un livre sur le conseil de saint Ambroise. Ensuite un groupe évoquant les croisades, avec les papes Urbain II et Eugène III, Pierre l’Ermite, saint Bernard, le roi Louis VII tenant un écu fleurdelysé, Richard Cœur de Lion et ses soldats, saint Louis agenouillé, Godefroy de Bouillon tenant le bourdon et l’oriflamme, Robert de Normandie, Suger, abbé de Saint-Denis, le doge Dandolo, aveugle, tenant le drapeau qu’il planta sur les murs de Constantinople, le connétable de Montmorency à la poitrine armoriée, entouré des nobles qui l’accompagnèrent en croisade : un guerrier tire son épée, un autre offre un coffret, un vieillard donne ses trois fils à l’armée. Sur le premier plan, l’épisode contemporain de la guerre d’indépendance hellénique est représenté par un cadavre renversé, symbole de la Grèce expirante, une mère qui embrasse ses enfants, un prêtre grec qui lève ses bras pour implorer Dieu, enfin un groupe de combattants autour de la croix, dans la dernière lutte contre l’islamisme.

A droite du spectateur, c’est-à-dire à la gauche du Christ, apparaissent au loin les premiers disciples et martyrs, sous le personnage du Juif errant, Ahasvérus, une besace sur l’épaule et un bâton à la main ; puis sainte Ursule et ses compagnes de Cologne (452), saint Symphorien, premier martyr des Gaules. Plus rapprochées, sainte Catherine appuyée à la roue et sainte Cécile à la lyre ; ensuite les guerriers francs groupés autour de saint Waast prêchant l’Évangile ; derrière, Clovis baptisé par saint Rémi, à côté de sainte Clotilde ; une druidesse regarde le roi d’un air courroucé. Plus bas, Charlemagne assis sur son trône, à qui un dignitaire présente les insignes du Saint Empire ; Éginard, son secrétaire, porte les Capitulaires tandis qu’un envoyé du Kalife Aroun-al-Raschid offre les clefs du Saint Sépulcre. Plus bas, Alexandre III évoque le souvenir de la première pierre de Notre-Dame de Paris ; à ses pieds, Frédéric Barberousse agenouillé, à Venise, avec le doge Ziani et un sénateur vénitien. Au même niveau paraissent Othon de Bavière et Jeanne d’Arc avec ses compagnons ; dans l’angle, Raphaël, Michel-Ange et Dante représentent la Renaissance. Plus bas, Henri IV, le converti, et Louis XIII offrant sa couronne à la Vierge, en compagnie de Richelieu, près de la stèle de dédicace « ANN. MDCCCXXXVII / REG. LUD. PHILIP. / FEC. ZIÉGLER ». La composition est dominée par la figure de Napoléon, l’empereur qui mit un terme à la Révolution : en grand manteau parsemé d’abeilles d’or, il se tourne vers Pie VII qui lui remet sa couronne, en présence des acteurs du Concordat de 1802, les prélats Consalvi, Caprana et Braschi. L’évêque de Gênes remet à Napoléon le texte du Concordat, qui est un traité entre le Pape et un souverain concernant les affaires religieuses.

Pour exécuter cette peinture qui fut révélée au public le 29 septembre 1838, Ziegler s’était beaucoup documenté : en véritable érudit, il avait évité les erreurs de costumes ou d’armoiries, donnant à ses personnages les attributs exacts de leur siècle. M. Bruno Foucart a rappelé que Ziegler avait séjourné en Allemagne en 1830, qu’il y avait rencontré Cornelius et qu’il s’était pénétré de l’esprit de l’école idéaliste de Munich et de Düsseldorf. Les premiers commentateurs de cette geste historico-religieuse ne s’y trompèrent d’ailleurs pas. Il faut signaler des sources italiennes évidentes, tout en disant la différence avec les modèles de Ziegler : la peinture est fort peu éclairée et trop de figures l’encombrent, rendant ainsi sa lecture assez difficile ; de surcroît, la technique à l’encaustique en augmente la matité. Les précurseurs du néo-classicisme avaient restitué ce procédé d’après les commentaires de Pline : Ziegler faisait donc acte de primitivisme avant la frise néo-byzantine de Lameire. Un nettoyage permettrait sans doute de retrouver un éclat coloré mieux accordé à la polychromie de l’édifice, celui de l’esquisse du musée de Langres.

Aux panneaux de marbre visibles dans l’entrecolonnement de la nef, Huvé substitua pour le chœur un décor peint par Vincent-Nicolas Raverat (1801-1865). Au premier niveau, des panneaux occupés par des figures de saints et d’anges alternent avec d’autres parcloses décorées d’une sorte de candélabre de feuillage porté par un ange ; des côtés vers le centre, la position de l’ange atlante se modifie pour faire face au spectateur. Derrière l’orgue, sainte Cécile protège les musiciens, saint Paul et saint Pierre assurent la foi, tandis que saint Philippe et sainte Amélie, saint Jacques et sainte Hélène représentent les patrons des princes d’Orléans. Au second niveau, des panneaux carrés font alterner les symboles de la Passion et de la liturgie : calice et croix rayonnante ; au-dessus des portes, la couronne d’épines, la lance et l’éponge, la croix et des palmes sont mêlés à des rinceaux de feuillages sur fond d’or.

La mosaïque de Lameire

La cohérence architecturale voulue par Vignon est altérée par un décor néo-byzantin réalisé entre 1888 et 1893, à l’initiative du Père Le Rebours, curé de la paroisse d’alors. La Ville de Paris avait accepté l’installation de la mosaïque à la seule condition de n’en rien payer : on avait donc fait appel aux paroissiens en leur promettant d’inscrire leurs noms sous les figures de saints qui pourraient également être leurs portraits, ceux de l’aristocratie et de la bourgeoisie du temps. Le sujet fut composé par le peintre Charles-Joseph Lameire et réalisé à la manufacture de Sèvres pour les carreaux de verre coloré, sous la direction d’Auguste Guilbert-Martin.

L’effet coloré est assez singulier mais respecte l’alternance de tons chauds et froids de tout l’édifice. Par une ironie du sort, cette mosaïque qui compromet la rigueur architecturale recherchée par Vignon est aujourd’hui le décor le plus facile à éclairer et donc le plus lisible. De près, la qualité des matériaux utilisés montre combien les paroissiens de La Madeleine eurent toujours le souci d’enrichir leur église.

D’après M. Krieger : le Christ de la Résurrection apparaît dans toute sa gloire, au centre, offert à l’adoration de ses premiers disciples et de ceux qui ont évangélisé la Gaule, auréolés sur un fond d’or. Ils sont séparés par quelques palmiers, arbres de la Palestine comme de la Provence. Sous les pieds du Christ, le texte Vivat qui Francos diligit Christus rappelle le début de la loi salique du royaume de France (Vive le Christ qui aime les Francs !) Depuis le Christ, à sa droite, les saints Marie-Madeleine, Maximin (premier évêque d’Aix), Sidoine, son successeur, Martial, apôtre d’Aquitaine, Véronique tenant la Sainte Face (elle aurait suivi saint Martial en Gaule), Zachée, le converti qui aurait vécu à Rocamadour, Front, fondateur de l’église de Périgueux (sous les traits de Lameire), Georges, premier évêque du Puy, Flour, apôtre des Cévennes, Austremoine, fondateur de l’église de Clermont. De l’autre côté, à la gauche du Christ : Marthe, sœur de Marie-Madeleine, enterrée à Tarascon, Lazare, leur frère ressuscité, fondateur de l’église de Marseille, Marie Jacobé, mère de saint Jacques le mineur qui aurait accompagné Marie-Madeleine en Gaule, Marie Salomé, mère de Jacques le Majeur, qui assista aussi à la Passion et débarqua en Provence, Marcelle, servante de sainte Marthe, Trophyme, disciple de saint Paul et fondateur de l’église d’Arles, Eutrope, fondateur de l’église d’Orange, Ursin, premier évêque de Bourges, représenté sous les traits de l’architecte Charles Garnier, Julien, fondateur de l’église du Mans, Denis, fondateur de l’église de Paris.

Inscription à gauche : CHRISTO TRIUMPHANTI / ET APOSTOLIS NOSTRIS UNDEVIGINTI QUOS CUM IPSO IN TERRIS CONVERSATOS : EVANGELUIUM / AB EJUS ORE ACCEPTUM / GALLIIS PRAEDICASSE : MAJORUM RELATIONE TRADITUM EST.
(Au Christ triomphant et à dix neuf de nos Apôtres que l’on dit avoir vécu sur terre avec Lui-même. On rapporte qu’ils ont apporté aux Gaules l’Évangile qu’ils avaient reçu de Sa bouche. On l’a cru grâce à la tradition des ancêtres.)

inscription à droite : OPUS MUSIVUM ABSOLUTUM /ANNO DOMINI MDCCCXCIII / LEONE XIII PONT. MAX. / F. RICHARD PRESB. CARD. S.E.R. / ARCHIEP. PAR / A. LE REBOURS HUJUS ECCL. PAR. : CAR. JOSEPH LAMEIRE INV. ET PINX. AUG ; GUILBERT-MARTIN PERFECIT.
(Cette mosaïque a été terminée en l’an du Seigneur 1893, sous le pontificat de Léon XIII, François Richard étant archevêque de Paris, et Almyre le Rebours, curé de cette paroisse. Elle a été conçue et composée par Charles-Joseph Lameire et exécutée par Auguste Guilbert-Martin).

Le décor sculpté

Les sculptures du sanctuaire sont dues à des artistes encore plus célèbres que ceux qui ont travaillé à l’extérieur. Elles sont des tailles directes et non des stucs comme dans de nombreuses églises baroques. Contrastant fortement avec les dorures, la pierre blanche a été utilisée pour les six grandes statues et les voûtes, tandis que le marbre blanc de Carrare servait pour les bénitiers et les trois groupes du vestibule et du chœur. L’existence d’un modèle pour la frise corinthienne laisse supposer la technique du stuc pour une partie du décor.

Le buffet d’orgues

Au dessus du tambour de chêne de l’entrée s’élève le grand orgue de Cavaillé-Coll (1846) qui fait de La Madeleine un des lieux privilégiés de la musique à Paris. En 1838, la paroisse réunit une commission de spécialistes dont le facteur de piano Erard et le compositeur Ambroise Thomas ; elle décida d’accorder le marché au facteur d’orgues le plus célèbre du temps. Ce magnifique instrument eut des titulaires aussi prestigieux que Camille Saint-Saëns (1858) ou Gabriel Fauré (1896). En harmonie avec l’architecture, ce sont quatre ordres corinthiens superposés, à colonnes et pilastres cannelés qui distribuent la porte, la tribune et les deux jeux de tuyaux visibles. Deux anges assis encadrent une tête de Christ dans un médaillon au premier niveau ; au troisième, les pilastres ont été remplacés par des atlantes barbus qui tiennent des livres et par des colonnes entièrement sculptées. Deux anges assis, portant les symboles de la Passion, accostent le dernier ordre, dominé par une statue du Christ assis, bénissant, tandis que deux autres anges jouent de la trompette. On ne connaît pas l’auteur de cette remarquable boiserie dont tous les ornements sont dorés.

Les deux chapelles du vestibule

Le vestibule est couvert d’une voûte en berceau à quatre bandes de caissons, interrompues au centre par trois reliefs octogonaux, occupant la surface de quatre caissons. Dans le plus pur style classique, Brion, Guersent et Lequien y ont sculpté des figures plus grandes que nature personnifiant les Vertus Théologales (1834-1835).

Les deux chapelles du vestibule habituent le visiteur au riche compartimentage de marbres de couleur de tout l’édifice, avec des formes géométriques pures, ressortant sur le mur de pierre blanche. Elles ouvrent par un arc en plein cintre orné des mêmes végétaux stylisés qu’à l’abside. Le modèle vient des niches des statues de Saint-Pierre de Rome, mais Huvé a enrichi les bandeaux du cul de four de losanges, pointes en bas et de motifs de candélabres, de croix rayonnantes et de palmes ; des rinceaux dorés se développent à hauteur d’imposte et correspondent à l’entablement de l’ordre ionique des autres chapelles. Derrière une balustrade de marbre blanc, un autel à tombeau droit et décor mosaïqué a été appuyé au piédestal du groupe du Mariage de la Vierge ; il fausse un peu les proportions de la sculpture.

À gauche, François Rude (1784-1855) a taillé le Baptême du Christ, qui est l’un des chefs-d’œuvre d’un sculpteur connu surtout par le Départ des volontaires, à l’Arc-de-Triomphe. Commandé en 1835, le groupe fut installé en 1843 après que le sculpteur eut modifié le geste du Baptiste qui dissimulait le visage du Christ dans l’esquisse du Louvre. Le groupement des personnages s’inspire des Italiens de la Renaissance et plus particulièrement d’Andrea Sansovino à l’une des portes du Baptistère de Florence. Conformément à la tradition, Rude a représenté un ange agenouillé, qui équilibre la masse de saint Jean, et poursuivi l’iconographie angélique si riche de La Madeleine. Son imposante figure du Christ nu peut-être comparée à celle que Michel-Ange réalisa pour l’église de la Minerve, à Rome.

En face, James Pradier (1794-1852) a exécuté le Mariage de la Vierge, pour ce qui était autrefois la chapelle des mariages. Le sculpteur suisse avait été écarté du concours du fronton, mais avait obtenu la commande des bas-reliefs d’une coupole en 1833 et celle de ce groupe deux ans plus tard. Il devait l’achever en 1840. Comme l’a montré M. Jacques-O. de Caso, le sculpteur ne pouvait guère s’éloigner du style classique dominant dans l’édifice, ni de la tradition iconographique renaissante ; il fit preuve néanmoins d’un sens nouveau du réalisme poussé en donnant un costume et une physionomie bibliques au grand prêtre. Un dessin préparatoire publié par Guillaume Garnier montre que Pradier avait même soumis le modèle du piédestal à l’architecte.

Dans le même goût italianisant, l’architecte Huvé donna le dessin des fonts baptismaux, mais on n’en connaît pas le sculpteur. Quatre dauphins portent un pilier à six pans sur lequel est posée une cuve octogonale, décorée de godrons, de rinceaux et de têtes de lions. Le couvercle de bronze doré comporte huit panneaux alternant des rinceaux et les emblèmes des Évangélistes. Il sert de socle à un vase porté par quatre anges agenouillés et décoré d’une frise consacrée au thème de l’enfance, avec Jésus au milieu des docteurs et le Christ attirant à lui les petits enfants.

A l’entrée de la première travée, le sculpteur Antonin Moine (1796-1849) avait prévu deux bénitiers assez spectaculaires, composés chacun d’une coquille portée par deux angelots et sommée d’une autre grande figure angélique ; le modèle en avait été montré au Salon de 1836 et fort admiré des amateurs. Néanmoins, les catholiques les plus intransigeants avaient condamné les formes trop sensuelles des allégories féminines qui devaient s’appuyer à la vasque. L’église possède donc aujourd’hui les modèles revus par Huvé, et taillés par Moine en 1840, sous forme d’une vasque ciselée dans le marbre comme les fonts baptismaux, avec une singulière figure d’ange très étiré, au dessus du pilier, tenant d’un geste un peu mélancolique la navette et l’encensoir nécessaires au culte.

La nef

Dans la chapelle de gauche, l’Italien Nicolas-Bernard Raggi (1798-1858), sculpteur du Saint Denis du portique, tailla une autre figure populaire de la piété française. En s’inspirant quelque peu du Saint Vincent de Paul que Stouf avait fait pour les Grands Hommes du Louvre, l’artiste montra le fondateur des Lazaristes tenant un enfant par la main ; il en réchauffe un autre contre sa poitrine et se hâte pour aller secourir des indigents. Comme Stouf, Raggi a réalisé un portrait exact et saisissant du saint dont l’image authentique avait été gardée par les Lazaristes.

En face, l’hommage à Marie-Amélie de Bourbon-Sicile, reine des Français, est évident dans la remarquable statue de Sainte Amélie par Théophile-François Bra (1789-1863). Ayant peu de documents sur cette reine hypothétique de l’époque des Wisigoths, qui aurait été martyrisée à Gérone, Bra la montra avec un livre à la main, signe de sa piété. Comme dans les autres statues du sanctuaire, le sculpteur semble avoir particulièrement bien compris le souci de monumentalité de l’architecte.

Au pilier de gauche de la seconde travée, la statue de la Bienheureuse Jeanne d’Arc est antérieure à la canonisation de l’héroïne médiévale. Les « jeunes filles » de la paroisse et le clergé se cotisèrent en 1909 pour la faire représenter par l’un des sculpteurs les plus prisés de l’époque ; ils acquirent un exemplaire de la guerrière inspirée par le Ciel que Raoul Larche (1860-1912) proposait aux églises de France.

L’église n’ayant pas de transept, la seconde travée en tient lieu avec deux statues plus importantes du point de vue liturgique. A gauche, Charles-Émile-Marie Seurre (1798-1858) a taillé une imposante Vierge à l’Enfant qui combine deux thèmes : le serpent foulé au pied par l’Immaculée Conception et la destruction des idoles. En effet, Jésus prend appui sur les ruines d’un temple de Jupiter. A droite, le Christ Sauveur de Francisque Joseph Duret (1823-1863) est une œuvre très étonnante pour un aussi jeune sculpteur. Après la résurrection, le Christ écarte de sa main droite la draperie du linceul, tandis que sa main gauche esquisse un geste de bonté et de miséricorde. Depuis son installation, cette statue a été l’objet d’un culte très suivi.

Avant de considérer le banc d’œuvre et la chaire à prêcher, on remarquera les confessionnaux installés contre les piliers des chapelles, sur une plate-forme fermée par une balustrade de marbre blanc. Ils ont été traités probablement par les mêmes menuisiers, soucieux de rappeler l’ordre ionique qui les surplombe et les rinceaux stylisés de tout le reste du décor. Le nom de Tuevenbourg, de consonance nordique, reste associé à la réalisation de la chaire ; comme elle a seulement trois côtés, le sculpteur sépara les symboles des quatre Évangélistes qui sont habituels : l’aigle, le lion et le taureau timbrent trois médaillons du soubassement tandis que saint Matthieu apparaît en entier sur la cuve, entouré de saint Paul et de saint Pierre. Soutenu par deux singulières cariatides, l’abat-voix démontre la force de la parole chrétienne avec les médaillons de saint Jérôme, saint Grégoire le Grand et saint Bernard. En face, le banc d’œuvre est réduit aujourd’hui à un simple parement en trois travées consacrées aux Vertus Théologales : on remarquera la Foi figurée devant la façade de La Madeleine et les tours de Notre-Dame, la Charité entourée d’enfants et l’Espérance à côté de la nef qui est aussi le symbole de Paris.

Sur la gauche de la troisième travée, la statue de saint Augustin est l’œuvre d’Antoine Etex (1808-1888) qui a montré le Père de l’Église s’apprêtant à écrire alors que son pied droit foule le livre des hérésies donatistes et pélagiennes qu’il combat. En face, l’élégante sainte Clotilde d’Antoine-Louis Barye (1795-1875) a été commandée en 1835 et achevée sept ans plus tard. Là encore, la tradition chrétienne française ne donnait guère de renseignements sur l’épouse de Clovis. Avec son diadème royal et son air pensif, la sainte exprime pourtant très subtilement son attente de la conversion des Francs et l’antériorité de sa foi.

Le chœur

Avant d’admirer le décor sculpté du chœur, le visiteur doit savoir qu’en 1842, clergé et architecte le voulaient encore plus somptueux : se fondant sur le nombre douze des colonnes ioniques, ils souhaitaient surmonter le petit ordre des statues des Apôtres. La Ville fit remarquer que les pendentifs des coupoles les représentaient déjà. En effet, Roman, Rude, Foyatier et Pradier y avaient taillé des bas-reliefs de 3 m 50 de haut, déployant des grandes figures blanches, en triangle, sur fond d’or. Ces douze personnages sont difficilement identifiables, mais ils donnent une impression dynamique aux coupoles surbaissées. L’année suivante, la Ville refusa également une figuration des Vertus Cardinales, encadrées d’anges, car le programme sculpté du maître-autel était loin d’être terminé.

Italien naturalisé comme Triqueti, Charles Marochetti (1806-1868) mit en effet douze ans à sculpter le Ravissement de sainte Marie-Madeleine. Ce groupe occupe le retable d’un autel monumental dont la blancheur est relevée par les ors de la somptueuse garniture d’autel d’époque Restauration et des deux reliefs où apparaît le Christ, à l’antependium et à la porte du tabernacle. Selon la tradition, Marie-Madeleine aurait terminé sa vie en Provence, à la Sainte Baume. Là, des anges venaient la soutenir dans ses extases, lorsque son âme quittait la terre et entraînait son corps vers les cieux. En 1781, Louis XVI avait fait extraire un fragment d’os du reliquaire de la Sainte Baume pour l’offrir au duc de Parme. Après les destructions révolutionnaires, Louis XVIII avait reçu d’Italie une partie de cette relique et en avait fait cadeau à la paroisse, en 1824. C’est la justification du sujet traité par Marochetti.

L’idée de transformer le retable en terrasse de sculpture vient d’Italie. A San Giorgio Maggiore de Venise, Girolamo Campagnola avait eu l’idée de couronner le tabernacle d’une figure du Rédempteur, foulant un globe terrestre soutenu par quatre anges, avec un autre ange adorateur de chaque côté. Cette figuration de la fin du XVIe siècle a été adaptée par le sculpteur italien à un autel encore plus monumental et à l’iconographie de sainte Marie-Madeleine.

Le tombeau droit est appuyé à un massif formant un gradin plus long que lui, terminé par deux socles portant deux anges agenouillés. Sur une plinthe ornée de feuilles d’acanthe, le tombeau de marbre blanc est encadré du même ordre corinthien que sur les autres autels et les grilles. Sur un fond doré, l’antependium est sculpté d’un bas-relief ˆ vingt-deux personnages racontant le repas chez Simon le Pharisien et la conversion de Marie-Madeleine : la scène est celle d’un repas à l’antique, avec le Christ à demi-couché, face à Simon, pendant que Marie-Madeleine répand un parfum coûteux sur sa tête ; Judas se lève pour marquer sa réprobation et des serviteurs s’affairent autour d’eux et des quelques Apôtres qui assistent à la scène.

Marochetti eut l’idée de prolonger la masse du tombeau, au-delà du gradin jusqu’aux piédestaux des deux anges, avec une modénature et des panneaux identiques. Le décor sculpté de rinceaux, de guirlandes de fleurs et d’anges encadrant les initiales de la sainte est donc répété sur toute la façade et sert de socle aux statues. Au tabernacle, c’est un véritable portique à fronton qui encadre la porte où le Christ ressuscité apparaît à Marie-Madeleine. Sans craindre les comparaisons d’échelle, le sculpteur multiplia les figures d’anges portant des consoles, allongés sur le fronton du tabernacle ou réduits à des têtes sur le gradin.

De chaque côté de l’autel, la composition est donc calée par une immense statue d’ange, un genou en terre, incitant au recueillement avec les mains jointes ou croisées sur la poitrine. Mieux que les sculpteurs du portique extérieur, Marochetti représenta des figures juvéniles qui sont gracieuses sans mièvrerie et d’une parfaite efficacité pour équilibrer le mouvement ascensionnel du centre. Là, trois anges à demi-agenouillés portent une sorte de corbeille tressée sur laquelle est agenouillée l’humble Marie-Madeleine, les yeux baissés vers l’autel et les bras écartés comme la Vierge de l’Immaculée Conception, d’où la confusion avec l’Assomption de la part de tant de visiteurs. La ronde des trois anges qui portent sans effort la nacelle est admirable dans son traitement, aussi bien dans le rendu des matières que dans l’ellipse nerveuse des ailes. Si Marochetti a montré Marie-Madeleine encore bien humaine, avec le sein gauche échappé de la robe, le cilice serrant la taille, il est parvenu à faire des anges des créatures vraiment célestes, ce qui est très difficile dans les trois dimensions de la sculpture. Renouant avec la tradition de l’art baroque, Marochetti ne s’est pourtant pas écarté du style classique de l’édifice ; il a même remarquablement meublé le volume de l’abside.

Adossés aux piliers du chœur, les reliquaires de saint Vincent de Paul et de sainte Marie-Madeleine sont dus à François-Désiré Froment-Meurice (1802-1855), l’un des plus célèbres orfèvres du XIXe siècle. L’abbé Buzelin, curé de la paroisse, en inspira la commande au conseil de fabrique, en 1846. Il s’agissait de terminer le décor de l’église et d’abriter la relique de la sainte et celle de saint Vincent-de-Paul que lui-même avait offerte. En bronze doré et argenté, émail et pierres vertes et rouges, les reliquaires sont précieux par leur iconographie : les figures de l’Espérance, la Religion, la Foi et la Charité en cantonnent les angles, alors que le couvercle sert de terrasse à une Madeleine repentante d’après Préault et à un saint Vincent entouré de petits enfants d’après Schoenewerk.

Derrière l’autel, un petit orgue de chœur par Cavaillé-Coll a été installé dès 1842 ; il domine les boiseries des stalles pour lesquelles des pilastres d’ordre toscan ont été utilisés, avec des panneaux semi-circulaires assez simples. Le mobilier de chœur, entièrement du temps de Louis-Philippe, avec ses crosses accentuées et ses dorures est d’une grande qualité. Signalons enfin que les grilles du sanctuaire ont été commencées en 1843 et terminées en 1845, avec les ornements récurrents de l’ordre corinthien à pilastres, ici à claire-voie, des consoles feuillagées et des rinceaux. A l’origine, une grille du même style fermait toute la nef, du côté de l’entrée.

C’est encore une structure métallique qui a été choisie pour l’autel placé devant le décor de marbre blanc de Marochetti ; on notera sa relative transparence et le souci d’adaptation dont la paroisse de La Madeleine a fait preuve dans les dernières années. Les salles basses, dites royales, témoignent de cette modernité par l’habile utilisation du décor de pierre et par le choix d’un élégant mobilier liturgique transparent dans la chapelle de semaine. Un autel classique décoré d’un tableau de Louis de Boullogne, La Vierge, saint Jean et sainte Marie-Madeleine au pied de la croix, y fait face à la statue d’Alexandre-Joseph Oliva représentant L’abbé Jean-Gaspard Degverry agenouillé et priant, monument du curé de La Madeleine, victime de la Commune, enterré là en 1871.

Le visiteur doit donc gravir le noble escalier de Vignon pour découvrir le sanctuaire, puis redescendre sous le socle monumental à la faveur d’une messe de semaine, d’une réunion, d’un emprunt de livre ou d’un repas au Foyer. Les destinations multiples imaginées au siècle des lumières ont donc trouvé une réalisation mais il fallait la conclusion du Curé de la Paroisse pour en expliquer la finalité.

François Pupil