Samedi 28 septembre 2024
Esperance et Paix, par Mgr Patrick Chauvet
« Pèlerins de l’espérance, sur le chemin de la Paix »
Comme il est bon d’ouvrir notre année pastorale par un pèlerinage ! Le pèlerinage est un chemin de conversion, de renouvellement. Il va nous préparer à entrer dans l’année Sainte dont le thème est : « Pèlerins de l’espérance, sur le chemin de la Paix ».
Quelle actualité ! Dans un monde qui succombe trop souvent à la tentation du désespoir, comment devenir des sentinelles de l’espérance ? dans un monde si violent, comment devenir des artisans de Paix ?
Reprenons pour notre méditation ces deux mots : espérance et paix qui sont liés. L’espérance de la Paix et la paix pour faire grandir l’espérance.
A Chartres, nous ne pouvons pas oublier le grand Charles Péguy, le théologien de l’Espérance. Dans le Porche du Mystère de la deuxième vertu Péguy nous partage son désespoir, sa neurasthénie et, en même temps, l’intervention divine : l’espérance est une communication de la vie même de Dieu, de sa joie surabondante à la misère incurable de l’homme. Péguy n’a pas fait d’études théologiques sur l’espérance, mais il a regardé vivre des enfants et il a lu l’Evangile. Pour lui, l’espérance crée l’Eglise ; elle n’a de raison d’être que dans un monde qui est soumis à la durée et au corps ; elle est la vertu des charnels.
Pour lui, c’est le mystère de l’enfance spirituelle. La perfection de l’homme est de redevenir un enfant qui joue, innocemment, devant le regard de Dieu qui finit lui-même par jouer. Il y a tout un aspect de la tendresse et de l’innocence de l’Eglise que l’on trouve dans la grâce. L’Eglise des saints est l’Eglise des enfants, l’Eglise de ceux qui jouent.
L’Espérance, c’est de montrer que notre Dieu aime l’homme. Il s’émerveille de l’homme sorti de ses mains. Du Christ glorifié, Péguy dit : « qu’il a rapporté dans le ciel un certain goût de l’homme, un certain goût de la terre. »
Dieu s’attendrit sur le monde.
Enfin, Dieu veut être aimé librement et cette décision est bien dans une dépendance véritable de l’homme.
Nous sommes à Chartres, le sanctuaire de Notre-Dame. Péguy a découvert ici, Marie, toute espérance.
Marie, lumière de l’Espérance ! Péguy va découvrir le fondement de l’espérance dans le cœur de Jésus, « L’homme qui a espéré ». L’angoisse du salut ne sera pas niée, mais surmontée par l’espérance du salut. Cette espérance se trouve aussi dans le cœur de Marie, Mère de tous les hommes. L’espérance prend la place de l’angoisse ; lorsque l’homme prie Marie en vérité, elle le décentre de lui-même. A Chartres, Péguy a découvert le visage de Marie qui est celui de l’espérance.
« La lumière de la Vierge ne brille jamais plus douce que dans les ténèbres » écrit saint Jean de la Croix.
Que retenir de Péguy ?
Face à la détresse de l’homme, brille l’espérance qui se traduit par l’enfance spirituelle, l’amour de Dieu pour les hommes, et le salut pour tous.
N’est-ce pas le programme pour notre paroisse ?
A l’école de Sainte Marie-Madeleine, nous devons témoigner qu’il n’y a pas de situation désespérée. Nous accueillons de nombreux visiteurs ; certains viennent visiter notre église, d’autres sont en recherche, portant des fardeaux bien lourds.
Que reste-t-il pour qu’ils tiennent et avancent ? leur faiblesse, leur détresse, leur nuit pour arriver à Dieu. Sans le savoir, ils vivent le retournement de l’espérance ; ils découvrent qu’être chrétien, cela ne veut pas dire d’abord être quelqu’un de bien, mais, à cause de leur incapacité, apprendre à s’en remettre à un autre, apprendre à changer de point d’appui, apprendre à s’offrir à Dieu. Comme Marie-Madeleine, ils franchissent le pas de l’impossible ; ils n’hésitent pas à se jeter aux pieds de Jésus et se convertissent.
Quel visage de Dieu présentons-nous aux visiteurs de notre église ? Celui qui se présente à nous dans la faiblesse et qui attend notre confiance. Ne faut-il pas alors accepter d’être dépassés par l’excès d’amour qui nous fait face ? Comme pour Pierre, la Samaritaine, Marie-Madeleine, le bon larron, le pas de l’impossible est possible.
C’est la confiance qui fait ce lien entre l’impossible et le possible. Accepter d’être broyé par l’incapacité, l’impuissance, peut-être même par le péché, cela devient la voie de la pauvreté qui obtient tout de Dieu. Notre angoisse, nos peurs, nos tentations, notre lassitude peuvent devenir le chemin de Dieu.
Tous, nous sommes porteurs de cette espérance ; elle est invisible au regard ordinaire, elle peut devenir visible au plus profond de notre vie. C’est dans la profondeur de l’échec, de la détresse que brille l’espérance.
Au moment où nous traversons certaines agonies, ne faut-il pas dire, comme Thérèse de Lisieux : « Ma folie à moi, c’est d’espérer » ou comme saint Paul : « Espérer contre toute espérance ».
L’espérance est le lieu de ceux qui se savent aimés parce qu’ils n’ont plus rien. Nous sommes sûrs d’être aimés parce que nous n’avons plus aucun appui en nous-mêmes pour espérer. C’est parce que nous sommes sans espérance que nous espérons. Nous n’avons plus rien, pas même l’espérance, c’est pourquoi nous avons confiance d’être accueillis par la miséricorde. Notre confiance est de remercier Dieu de ce dénuement qui force les portes du désespoir. On ne se cramponne plus à tel espoir forgé par nous, mais nous acceptons de franchir cette porte d’une misère sans nom ; on ne possède plus l’espérance.
Voilà un chemin spirituel qui nous conduit à avouer que tout est grâce. Je pense à ce beau roman de Bernanos, « Journal d’un curé de campagne » ; ce pauvre curé apprend qu’il a un cancer ; avec ses limites, ses pauvretés, il se demande comment il fera pour mourir. Il se retrouve chez son ami, prêtre défroqué, dans une chambre glauque, pas de prêtre disponible pour lui donner les derniers sacrements ; c’est dans ce dépouillement extrême que ce prêtre se réconcilie avec lui-même, c’est-à-dire qu’il accepte ses pauvretés. Comme il dit : « Il est plus facile que l’on croit de se haïr. La grâce est de s’oublier. »
C’est dans ce dépouillement total, où l’espérance semble absente, qu’il dit, juste avant de mourir : « Qu’importe, tout est grâce. »
L’espérance est le plus haut fruit de l’amour. Il s’agit, au cœur des épreuves, de garder la douceur de l’amour, la paix de l’amour à travers tout. Le Christ en croix est un torturé, mais il est avant tout celui qui aime. Si Jésus a été crucifié, ce n’est pas pour faire de nous des crucifiés, mais des enfants bien-aimés du Père.
Le mystère de l’espérance n’est pas un mystère de force, mais un mystère d’impuissance. Pas un mystère d’héroïsme, mais un mystère de confiance et d’amour.
Notre vie spirituelle ne consiste pas à souffrir avec courage, ni même souffrir tout court, mais accepter d’avoir peur de souffrir. Elle ne consiste pas à franchir un obstacle, mais à être écrasé par lui ; non pas à être grand, mais petit ; non pas à déployer de la vertu, mais à voir notre vertu mise en déroute et à l’accepter par amour ; et, pour accepter par amour d’être sans force, ce n’est pas de la force qu’il faut, c’est de l’amour. Pas de l’amour à la manière humaine ; cet amour n’est pas de chez nous ; il faut que Dieu l’insuffle en nous ; il faut qu’il vienne aimer lui-même en nous et cet amour produit la joie parfaite.
« Pèlerins de l’espérance, sur le chemin de la paix »
Regardons maintenant la seconde partie du thème proposé par le Pape François. Comme je vous l’ai dit, les deux thèmes sont liés. Cette paix tant désirée n’est-elle pas de l’ordre de l’espérance ?
Depuis que l’homme est homme règnent l’orgueil, la jalousie, les tensions, les guerres, les violences. Le début du livre de la Genèse donne la tonalité : la rivalité entre Caïn et Abel (Gen. 4,8) se termine par le meurtre d’Abel. Aujourd’hui, que de conflits dans le monde. Les diplomates font tout pour obtenir cette paix si fragile, mais le bruit des armes résonne ! le Pape François parle d’une troisième guerre mondiale.
Quand nous parlons de paix, on pense aux conflits si nombreux sur notre planète ; mais il ne faut pas oublier les crises sociales, économiques qui peuvent mettre le feu dans nos quartiers. Seul, le dialogue est essentiel pour maintenir une paix fragile.
Paix aussi dans l’église, en commençant par nos communautés. Comment devenir des artisans de paix ? en étant déjà des êtres pacifiés et donc unifiés. Pas si simple dans notre monde si tendu ! La prière est un moyen privilégié pour être habité par la paix ; le bruit ne favorise pas la paix ; c’est pourquoi il nous faut profiter de l’année sainte pour redécouvrir l’importance de la prière.
Un être pacifié répand la paix autour de lui. Une communauté pacifiante attire ; loin des jalousies, des rivalités, tous au service du Seigneur et de la mission, nous deviendrons un lieu de paix. Nous retrouverons alors l’espérance, cette petite espérance qui n’a l’air de rien du tout pour reprendre Péguy. Nous ne sommes que des pèlerins ; notre seule ambition, c’est la sainteté et la vie dans le cœur du Père. Cela relativise ce que nous sommes en train de vivre !
Comme nous le disons après le Notre Père : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus-Christ, notre Sauveur. »
Comment ne pas terminer avec Marie, modèle de l’obéissance, de la foi et de l’espérance. Dans le Journal d’un curé de campagne, le curé de Torcy s’adresse au jeune curé : « Et la Sainte Vierge, est-ce que tu pries la Sainte Vierge ? »
Marie va accompagner ce curé sur ce chemin de dépossession, « le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul vrai regard d’enfant. »
La prière mariale est celle du pauvre écrasé par son angoisse, sa détresse, son péché.
« Oui, mon petit, pour la bien prier, il faut sentir sur soi ce regard qui n’est pas tout à fait celui de l’indulgence, mais de la tendre compassion, de la surprise douloureuse qui la fait plus jeune que le péché. »
Par Marie, nous découvrons que nous sommes aimés du Père, malgré nos pauvres histoires.
« Qu’est-ce que cela fait ? Tout est grâce ».